Les Centres d’accès à la technologie : 10 ans de réussite !
- Nathalie Méthot, Directrice Recherche et innovation, Collège La Cité et Présidente du réseau Tech-Accès Canada
- David Berthiaume, Directeur général – Kemitek, Cégep de Thetford et Président ex-officio du réseau Tech-Accès Canada
- Ken Doyle, Directeur général du réseau Tech-Accès Canada
Introduction
Le 10e anniversaire des Centres d’accès à la technologie (CAT), centres d’innovation affiliés aux collèges canadiens créés en 2012, est le moment opportun pour dresser un bilan. La participation des collèges dans des activités d’innovation au service du secteur privé a pris de l’ampleur au courant des années 2000 et plusieurs études probantes ont démontré le potentiel des collèges à soutenir l’économie1,2,3. Puisque 95% de la population canadienne réside à moins de 50 km d’un collège, ceux-ci sont bien positionnés pour favoriser l’innovation au sein des petites et moyennes entreprises de partout au Canada, et ce en mettant à leur disposition un personnel qualifié, des équipements de pointe et un corps étudiant engagé. À l’heure actuelle, on compte 60 CAT répartis dans toutes les régions du Canada et une multitude d’initiatives de recherche appliquée fructueuses. Mais que font les CAT ? Qui sont-ils ? Quelles sont leurs retombées pour la communauté ? Quel rôle jouent-ils dans un écosystème d’innovation et une économie prospère ?
Historique
Pour mieux comprendre d’où proviennent les CAT, il convient de présenter brièvement l’émergence de la recherche appliquée dans les collèges au Canada. Plutôt que de se concentrer sur la recherche fondamentale, les collèges sont actifs en recherche appliquée orientée selon les besoins des entreprises, et ce dans le but de les aider à combler le fossé entre l’idée et la commercialisation.
Comparativement à la tradition ancestrale de recherche universitaire, l’arrivée de la recherche appliquée dans les collèges au Canada est un phénomène relativement récent, qui a connu des débuts modestes au courant des années soixante-dix. Quelques projets de recherche issus d’initiatives ciblées de professeurs innovateurs ont vu le jour, et plusieurs années se sont écoulées avant la mobilisation que l’on peut observer aujourd’hui. Lentement mais sûrement, les collèges ont développé un portfolio de mandats réussis, démontrant tout le potentiel du concept de la recherche appliquée collégiale, ce qui a mené en 1983 à la création formelle de Centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT) au Québec.
En juin 1998, la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) a annoncé la création d’un fonds destiné à aider les collèges, instituts et centres de recherche affiliés canadiens à développer et à renforcer leur infrastructure de recherche. À ce jour, le programme a attribué 15 millions de dollars dans le cadre de deux concours.
Intrigués par cette initiative, des cadres supérieurs du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) ont visité, à l’automne 2002, 19 collèges du pays pour en apprendre davantage sur la forme, la nature et la portée de la recherche appliquée menée dans les collèges canadiens. Grâce à ces visites, le CRSNG a créé en 2004 un programme pilote visionnaire et déterminant destiné à soutenir exclusivement la recherche appliquée collégiale : le programme Innovation dans les collèges et la communauté (ICC). Six collèges, ayant reçu 100 000 $ par année pendant trois ans, ont eu pour objectif de démontrer tout le potentiel de ce programme, ce qui a permis de le rendre permanent dès 2008.
Au fil des ans, des fonds complémentaires de près de 75 millions de dollars par an provenant de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) et du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) se sont transformés en un engagement fédéral à l’égard de la recherche appliquée dans les collèges. En outre, 108 collèges sont admissibles à recevoir ce financement pour le bénéfice de leurs milliers de partenaires industriels. Ceci contribue à créer ainsi un solide réseau de recherche appliquée dans les collèges à travers le pays.
Sous le programme pilote de l’ICC, un seul type de subvention, d’une durée de cinq ans et non renouvelable, était offert : la « subvention de renforcement de l’innovation ». Ce programme a ensuite évolué, offrant un éventail de financements pour des opérations de base, des projets de recherche appliquée et même l’achat d’équipement de pointe. Tous ont eu impact considérable sur les communautés, d’un océan à l’autre. L’une des initiatives de l’ensemble des programmes d’innovation dans les collèges et les communautés est la subvention au Centre d’accès à la technologie. Ce financement quinquennal renouvelable, stable et prévisible, permet de maintenir et d’accroître la capacité de recherche appliquée qu’un collège a établie dans une discipline spécifique d’importance économique dans une région géographique définie. Cette subvention est fondée sur le modèle des CCTT du Québec, qui existe depuis 40 ans.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a réalisé en 2019 une étude de cas sur la subvention des Centres d’accès à la technologie au Canada, qui statuait que le secteur collégial canadien était très bien positionné pour aider les petites entreprises à avoir du succès7.
Depuis 2012, le nombre de CAT a graduellement augmenté au fil de sept compétitions, passant de 9 à 60 en 2019. Les 60 centres, comptant au-delà de 2 000 experts spécialisés dans l’innovation, sont présentement situés dans toutes les provinces canadiennes (à l’exception de Terre-Neuve) et dans les Territoires du Nord-Ouest. Les CAT sont actifs dans un large éventail de secteurs de l’économie, au service de domaines industriels importants dans la région : aérospatiale, agriculture, automobile, biotechnologie, construction, cybersécurité, énergie, exploitation minière, fabrication de pointe, foresterie, génie océanique, innovation alimentaire, innovation sociale, médias numériques, produits chimiques et plastiques, technologies environnementales, technologies médicales et télécommunications.
Qu’est-ce qu’un CAT
Un CAT est un centre de recherche appliquée affilié à un collège ou un cégep, spécialisé dans un domaine d’intervention spécifique, réalisant des services de recherche appliquée, des services techniques et de la formation/mobilisation des connaissances (voir encadré). Les retombées des CAT sont de contribuer au développement économique et à la formation de la main-d’œuvre.
La clientèle utilisatrice des services des CAT est généralement constituée d’entreprises (majoritairement des PME) et d’organismes (sans but lucratif ou publics). En permettant aux PME d’avoir accès aux ressources requises et terme de main-d’œuvre, d’équipements, de temps, et de financement, les CAT favorisent la capacité d’innovation et la compétitivité de l’industrie de façon très avantageuse.
Les activités de recherche et de développement comportent cependant des risques importants pour ce type d’entreprises : l’investissement nécessaire pour innover est réel et tangible, et les résultats ne sont pas garantis. Le travail d’accompagnement des CAT permet de diminuer ce risque grâce à l’accès à des infrastructures et des expertises établies, mais aussi par le recours à des financements publics. Le coût des services offerts par les CAT est généralement assumé par les clients, et couverts partiellement par des sources de financement publiques visant à stimuler l’innovation dans les entreprises. Cette aide financière publique est directe (ex. subventions attribuées directement aux centres) ou indirecte (ex. subventions attribuées aux entreprises et organismes, crédits d’impôt à la recherche scientifique et au développement expérimental).
À noter qu’un CAT est une structure qui se veut durable et pérenne dans un domaine donné ; il ne s’agit pas d’un projet ayant une durée limitée dans le temps. Un CAT doit être en mesure de planifier et d’ajuster son développement en fonction de l’évolution de l’environnement interne et externe et de s’adapter afin de répondre le mieux possible aux besoins de toutes les parties prenantes (industrie, institutions d’enseignement, corps étudiant, gouvernements, organismes de financement, employés). Il est désirable que celui-ci possède des mécanismes de gouvernance interne adéquats afin de demeurer agile et ajuster ses façons de faire rapidement selon les besoins et les exigences des parties prenantes.
Compte tenu de l’aide publique reçue et du mandat d’accompagnement qu’il lui est dévolu, un CAT cherchera à éviter toute concurrence directe avec les entreprises privées ainsi qu’à se développer harmonieusement avec les autres acteurs de l’innovation présents sur son territoire, notamment en évitant des duplications improductives. Dans le cadre de son mandat, un CAT visera à collaborer activement avec d’autres ressources expertes présentes et accessibles au sein de l’écosystème de l’innovation canadienne (ex. autres CAT, centres de recherche privés, publics, universités, consultants spécialisés, etc.). Ceci lui permettra de servir le mieux possible les intérêts de ses clients et de la population canadienne.
Certains CAT opèrent en tant que service ou division opérationnelle du collège auxquels ils sont affiliés. D’autres sont constitués comme corporation sans but lucratif indépendante de leur collège d’attache, avec ou sans contrôle direct par les instances du collège. Malgré la diversité possible de modèles, la mission et le rôle de tout CAT demeurent les mêmes.
Tech-Accès Canada : le réseau des CAT
Les CAT sont des centres de recherche reconnus, qui fonctionnent de façon ingénieuse et autonome les uns par rapport aux autres. Ils partagent une même mission. Cependant, ils forment ensemble un système fortement cohésif, une partie essentielle du concept. Ce réseautage intensif, bien que respectant l’indépendance de chaque centre membre, est indispensable à la recherche d’une cohérence et d’une complémentarité au niveau local, régional et national. Le principal bénéfice de cette gouvernance décentralisée est de permettre un développement plus ajusté aux besoins de la clientèle ainsi qu’aux impératifs géographiques. Le pouvoir du réseau est un pouvoir d’influence, qui amène ses membres à une constante amélioration.
Pour assurer cette cohésion, les centres se sont organisés sous la forme d’un réseau formel, Tech-Accès Canada, constitué en corporation à but non lucratif et dont chaque CAT est membre. L’objectif de ce réseau pancanadien est d’exploiter la capacité de 60 centres d’accès à la technologie, fonctionnant tous selon un même modèle, afin d’offrir aux petites entreprises des ressources capitales qui leur permettent de réduire les risques liés aux activités d’innovation, de commercialisation et d’adoption technologique. En partageant les meilleures pratiques entre les centres, le réseau contribue à ce que la clientèle travaillant avec un centre en Alberta ait la même expérience que celle qui travaille, par exemple, avec un centre au Québec ou en Nouvelle-Écosse.
Le réseau favorise les interactions entre les CAT, le développement et le partage de bonnes pratiques d’affaires, la collecte de données et d’indicateurs et la mise sur pied de projets collaboratifs. Il a aussi la responsabilité d’organiser des ateliers de réseautage, le tout afin d’assurer l’excellence de tous les CAT.
De la même manière que les 60 CAT du Canada sont conçus pour être des ressources fiables et adaptables en innovation, le réseau est un acteur prêt à explorer de nouvelles pistes pour favoriser l’innovation dans les entreprises. Tech-Accès Canada administre des initiatives permettant aux CAT d’agir en intervention tactique auprès des entreprises, notamment le programme des visites interactives en partenariat avec le Conseil national de recherche du Canada (CNRC), qui connaît un grand succès et qui offre aux petites entreprises canadiennes un accès rapide à l’un des 60 CAT pour répondre aux enjeux liés à l’innovation.
Des impacts tangibles pour le Canada
Selon le comité d’experts en innovation commerciale du Conseil des académies canadiennes, les dépenses en recherche et développement des entreprises permettent de mesurer l’engagement de celles-ci envers le développement de nouvelles idées et leur commercialisation. Le plus récent rapport de ce comité révèle que le Canada, qui a toujours été un pays de petites entreprises, compte 1,1 million de PME (moins de 500 employés). Bien qu’elles représentent 98 % de toutes les entreprises, elles ne comptent que pour 27 % des dépenses totales en recherche et développement et celles-ci ont diminué de façon constante au courant des dernières années. Cette tendance se poursuit malgré plusieurs signaux d’alarme lancés par des groupes d’experts et des études sur le bilan peu reluisant du Canada en matière d’innovation9.
Les CAT contribuent, à la hauteur de leurs moyens, à renverser cette tendance en stimulant les investissements en recherche et développement au sein des PME. En effet, durant la dernière année, les CAT ont travaillé avec plus de 5 000 clients et partenaires, dont 81 % étaient des petites et moyennes entreprises. Les équipes des CAT comptent plus de 2 000 experts en innovation à temps plein et à temps partiel. Ils ont offert des stages à plus de 2 300 étudiants de niveau postsecondaire dont 79 % proviennent de collèges et 21 % d’universités. De plus, les CAT ont obtenu 58 millions de dollars de revenus pour leurs activités de recherche appliquée, dont 53 % en espèces provenant du secteur privé. Ce financement complémentaire représente un effet de levier de 4 sur le financement de base de 14 millions de dollars qu’ils reçoivent du CRSNG.
Dans une enquête récente sur l’impact du programme des visites interactives, près de 80 % des répondants ont indiqué que la visite interactive avait eu un impact sur leur entreprise, notamment en amenant de nouveaux produits ou services sur le marché, en augmentant leurs dépenses en recherche et développement, en diminuant les coûts liés à l’adoption de nouveaux processus/technologies, en augmentant les revenus des produits et services, en protégeant les emplois existants et en embauchant de nouveaux employés. 60 % des entreprises ont indiqué qu’elles ont poursuivi leur collaboration avec le CAT et la majorité d’entre elles ont entrepris un projet de recherche et développement à plus long terme.
Conclusion
Les CAT sont des catalyseurs d’innovation au service des entreprises privées ainsi que des acteurs importants dans le développement d’une culture d’innovation au Canada. Après 10 ans d’existence, le modèle des CAT a démontré sa pertinence. Pour preuve, l’excellence de plusieurs CAT a été soulignée internationalement, par l’obtention de plusieurs prix de la World Federation of Colleges and Polytechnics. Soutenant des milliers de PME canadiennes dans leurs projets d’innovation, contribuant à la formation de milliers d’étudiants ainsi qu’au développement d’expertise de pointe, ici, chez nous, les CAT jouent un rôle unique dans le système d’innovation canadien.
Malgré ces impacts sans équivoque, deux questions importantes peuvent être posées : 1) comment pouvons-nous pérenniser la recherche appliquée au collégial ? À l’heure actuelle, malgré les impacts positifs, le modèle demeure résolument fragile ; 2) Comment maximiser le développement de tout son potentiel de croissance ? Étant donné qu’un grand nombre d’initiatives en recherche appliquée dans des collèges doivent être mises sur la glace par manque de fonds permettant d’appuyer l’innovation collégiale, tant pour la création de nouveaux CAT que pour le développement de projets collaboratifs d’envergure, cette question n’est pas banale. Le Canada a besoin d’un système d’appui fort, et les experts s’entendent pour dire que cela nécessite des investissements en recherche et développement de la part du secteur privé. Les CAT sont un des moyens permettant d’atteindre cet objectif. Sans mécanisme qui assure la pérennité et le soutien à la croissance du réseau des CAT, les investissements antérieurs du gouvernement du Canada et des provinces pour la mise sur pied de ces Centres, notamment dans le développement d’infrastructures et d’expertises de pointe, auront été vains. Nous sommes d’avis que le moment est opportun pour se mobiliser et redonner une vision d’avenir aux CAT.
Bibliographie
- Fischer, R. (2008). The College Advantage: Private Sector Innovation & Highly Qualified Personnel, https://www.yumpu.com/en/document/view/18946035/the-college-advantage-private-sector-innovation-highly
- Conference Board of Canada (2010). Innovation Catalysts and Accelerators-The impact of Ontario Colleges.
- L’Association des collèges communautaires du Canada (2011). L’innovation : la voie de la productivité https://www.collegesinstitutes.ca/wp-content/uploads/2014/05/2011_innovation_fr.pdf
- Conference Board of Canada (2021). Innovation Report Card 2021 (2021). https://www.conferenceboard.ca/focus-areas/innovation-technology/innovation-report-card
- Breznitz, D. (2021) Innovation in real places-Strategies for Prosperity in an Unforgiving World, New York, Oxford University Press.
- Chkir, I. (2021). Le Canada a tout ce qu’il faut pour innover, mais n’investit pas assez en R&D, The Conversation (https://theconversation.com/le-canada-a-tout-ce-quil-faut-pour-innover-mais-il-ninvestit-pas-assez-en-randd-156631)
- Hampel, R. and K. Doyle (2019). The Technology Access Center Grants in Canada: Case study contribution to the OECD TIP Knowledge Transfer and Policies project. https://stip.oecd.org/assets/TKKT/CaseStudies/4.pdf
- Conseil des académies canadiennes (2018). Rivaliser dans une économie mondiale axée sur l’innovation : L’état de la R-D au Canada. https://www.rapports-cac.ca/reports/competing-in-a-global-innovation-economy/